Loading R-evolution. TNS>BCN 03. Rania Werda | LATIFA MOUELHI KACEM

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Dès mon premier contact avec ces œuvres, j’ai été happée, secouée par une multitude d’interrogations. Un flux d’émotions émergeait en moi me confrontant à plusieurs laps de temps entrecroisant des souvenirs bafoués, perdus dans l’émoi d’une mémoire interloquée.

Je ne pus me résoudre à me détacher de cette subjectivité qui me provoquait tout en me guidant vers un chemin plastique, préalablement conçu, à mon sens, par l’artiste.

C’est bien avant son départ pour l’Espagne que l’artiste a commencé son travail. J’ai pu, à Tunis même, assister à sa genèse et à en apprécier les ébauches.

Son esquisse était déjà chargée d’émotions, pétrie d’authenticité. Par la suite, à Madrid, l’œuvre en état d’achèvement a reçu ses dernières retouches avec la collaboration d’une amie artiste, Hejir Chalbi.

Rania a bien suivi le même chemin plastique et quasiment la même méthodologie menant à la mise en scène finale.

Ce caractère, me semble-t-il, quoique austère, presque fulgurant, ainsi que la touche obscène de ce kitch empoisonné, se sont accentués au terme du processus plastique.

Je me suis ainsi laissée entrainer par ce malaise artistique bricolé de lazzi, pour narrer les événements disloqués d’une révolution tourmentée par le choc, l’émotion, l’étonnement et le sarcasme.

Tout est miniature et blancheur aveuglante d’un vide grotesque. Les personnages errent dans l’espace pictural comme des naufragés qui cherchent désespérément une explication à leur sort, se mélangent alors dans leurs esprits nostalgie et émoi, fierté et dérision.

Fragmentées, les œuvres se veulent esquisses délibérément triviales d’un mouvement ou d’une émotion. L’artiste dut simplifier l’encombrement des foules pour réduire l’équation humaine à un seul inconnu, le futur, laissant ainsi un vide pesant et bavard qui s’allie à une présence dispersée de caméras impliquant le spectateur dans une sorte de projection dans la temporalité allusive des œuvres.

Comme un spot publicitaire saugrenu ou comme une icône qui sacralise la vanité d’une adoration enragée, l’artistes, lasse d’imageries flatteuses, nous présente une anecdote qui retrace son inquiétude et qui octroie au spectateur la charge mémorielle d’un passé prometteur et d’un futur…mutilé.


De ce fait, les travaux se meuvent dans une sorte de contradiction ironique : d’une part, ce côté auguste mis en scène par un flou « Sfumato » et une luminosité aveuglante de l’arrière-plan baptisant les personnages estropiés d’une auréole vénérable, d’autre part, les taches colorées, vulgairement débordantes des contours du dessin en croquis quasi inachevé, présentent ces individus à la forme éphémère propulsés dans des gestes freinés comme dans un court métrage au ralenti.

Cette projection imagée et inerte, procède d’une histoire évolutive, d’une mémoire, d’une réalité imparfaite, d’une illusion transmise en direct dans un « Live-show » par ces caméras que tiennent des mains assoiffées de sanguinolentes images. Tel un grotesque voyeur démuni de toute pudeur et de toute morale et qui, devant un corps abattu, en prolonge l’agonie.

De l’hyper-réalisme des visages et des expressions, au minimalisme des corps tordus passant par le romantisme émouvant d’une tache rouge-sang vers un Fluxus toxique qui répand la poussière et la fumée de cette révolution par le biais des cartes postales narquoises, le parcours de l’art s’allie de la sorte avec le chemin libéral de la révolution, plongeant le spectateur dans une tension émotionnelle étouffée par les laisses d’un mutisme dépassé par les évènements.

« Je ne comprends rien à ce qui se passe, j’aime mon pays et je vits déjà une nostalgie par rapport à une révolution qui continue sans trop savoir où elle nous mène. J’en ai marre de cette diarrhée médiatique qui célèbre nos morts et notre malaise. »

C’est par ces mots que l’artiste exprime son angoisse calme, une inquiétude au féminin.